— Miss McCarthery, ça ne se passera pas comme ça et vous aurez bientôt de mes nouvelles !
— J'ai le regret de vous dire qu'elles ne m'intéressent pas.
Etouffant de rage, le Gallois regagna son bureau dont il fit claquer la porte derrière lui.
Lorsqu'elle annonçait qu'elle allait travailler, Imogène mentait car, considérant le 24 juin comme une sorte de congé, elle ne faisait pratiquement rien de la journée, passant son temps à lire un roman de Walter Scott et ne sortant de sa lecture que pour distraire ses camarades en leur récitant des poèmes de Robert Burns dont elle avait appris par cœur des centaines de vers. Elle pouvait se permettre d'agir ainsi car elle savait que la complicité de ses compagnes de travail lui était acquise, complicité qui ne se révélait pas gratuite. Le 10 avril, en effet, ces dernières prenaient leur revanche. Chaque année, ce jour-là, Imogène arrivait au bureau portant un crêpe de deuil sur son tailleur. Ne saluant personne, eue s'installait à sa table où on ne l'entendait dire mot de la journée. Elle acceptait sans regimber toutes les tâches supplémentaires que les autres se faisaient un malin plaisir de lui infliger. Le 10 avril, miss McCarthery se considérait comme la plus malheureuse des femmes de tout le Royaume-Uni car trois siècles plus tôt, à Culloden, Charles-Edouard, « Bonnie Prince Charlie », ayant été battu par le duc de Cumberland, l'Ecosse avait perdu son indépendance. Les camarades d'Imogène le lui rappelaient cruellement.
Cependant, il était dit que ce 24 juin réserverait bien des surprises à Imogène. Elle déclamait un poème de Burns lorsque Mr Archtaft réapparut. Souriant, sûr de lui, il lança à la cantonade :
— Miss McCarthery, si vous voulez bien me permettre d'interrompre votre récital, j'aurais le plaisir de vous annoncer que sir David Woolish serait très heureux — si ce n est pas trop vous demander — que vous lui fassiez l'nonneur d'une visite et ce, immédiatement.
Le grand patron ! Une brise glaciale souffla sur le bureau et Imogène elle-même perdit pied. Elle pâlit, rougit, balbutia une vague réponse, ce qui remplit d'aise Mr Archtaft qui crut bon de parachever sa victoire :
— Bien que ce soit le 24 juin, miss McCarthery, puis-je faire savoir à sir David Woolish qu'une Ecossaise accepte d'obéir à un Anglais ou dois-je lui apprendre qu'en souvenir de Bannockburn vous remettez à plus tard le soin de répondre à sa convocation ?
— J'y vais... j'y vais...
— Sir David Woolish a dit : immédiatement, miss McCarthery. Veuillez me pardonner de vous le souligner.
Sur ce, satisfait de lui, Mr Archtaft réintégra ce qu'ïmogèjie appelait sa tanière. Sitôt le chef de bureau disparu, les commentaires allèrent leur train. Pour tout le monde — y compris l'intéressée — il ne faisait pas de doute que miss McCarthery, à la suite de ses querelles avec Archtaft et Masburry, s'entendrait signifier son congé et déjà on la regrettait. Nancy Nankett vint l'embrasser, et lui souffla dans l'oreille :
— Courage, Imogène ! Si l'on vous renvoie, nous ferons une aémarcne collective auprès de sir David Woolish...
Cette marque d'affection rendit sa fermeté d'âme à miss McCarthery. Il ne serait pas dit qu'un 24 juin elle offrirait le spectacle de son désarroi à des Anglaises, même animées des meilleures intentions du monde à son égard, et si elle devait quitter l'Amirauté, ce ne serait pas sans dire son fait à David Woolish qui, après tout, n'était qu'un Anglais en dépit de ses hautes fonctions. Avant de sortir, elle mit ses affaires en ordre pour n'avoir qu'à les prendre au cas où il lui faudrait partir sans délai ; puis, cambrant la taille, elle remarqua à haute voix :
— Sir David Woolish doit être plongé dans quel que difficulté dont il estime que seule une Ecossaise peut le tirer ! Je vais à son secours !
Mais ces dames et demoiselles étaient trop émues pour songer à rire de cette dernière boutade et orsque l'Ecossaise eut quitté la pièce, Janice Lewis résuma l'opinion générale en déclarant :